Après la conférence de la Baule en France et le vent des démocraties en Afrique, LA République centrafricaine a organisé les premières élections démocratiques, libres et transparentes. Cette ascension à la démocratie est suivie de cycle de violences nées de multiples mutineries, de tentatives de coups d'Etat avec de représailles sanglantes et in fine l'accession à la magistrature suprême par la voie des armes de la coalition de la rébellion qui a plongé le pays dans les ténèbres. Des destructions systématiques des biens publics et privés ont été enregistrées, des viols, des meurtres, des traitements dégradants et inhumains, des coups, blessures et même des actes qui s'apparentent à un génocide. Ainsi, dans le cadre de la lutte contre l'impunité, la réconciliation nationale et la justice sociale, une cour pénale spéciale centrafricaine a été créée par la loi organique du 03 juin 2015. C'est la première fois en Afrique que les autorités nationales créent une structure de ce genre pour juger des crimes internationaux commis sur leur propre territoire. Cette cour a vocation ou compétence de juger les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et les crimes de génocide.
En clair, elle va enquêter, instruire, juger les infractions graves du droit international humanitaire et de violation des droits de l'homme. Cette cour fait partie intégrante des institutions du droit positif centrafricain, elle appliquera le code pénal et le code de procédure pénale centrafricain. Elle a pour objectif de réparer les préjudices subis par les victimes, d'apaiser le cœur des victimes, de restituer la dignité humaine, le rétablissement de la paix, la restitution de la vérité, la cohésion sociale, elle permet aux victimes de tourner la page et de faire leur deuil. Elle n'a pas vocation à dessaisir les tribunaux nationaux déjà saisis sur certaines affaires mais simplement pour les compléter. Cette noble institution judiciaire est financée par le concours des États-Unis et de la communauté internationale. En ce qui concerne la durée, LA cour pénale spéciale est mise en place pour une période de cinq ans renouvelable. Mais renouvelable combien de fois ? Le texte qui l'a institué est muet sur le nombre de renouvellement. S'agissant de la période couverte par la cour, la loi portant création de la cour spéciale a retenu une fourchette allant de 2003 à nos jours. Mais pourquoi seulement à partir de 2003 ? Pourquoi pas avant ? S'agit-il d'un règlement de compte par voie légale ? Cela concerne t-il des personnalités pré-identifiées ? Dans l'affirmative, cette situation enlève le caractère impersonnel que doit revêtir toute loi.
Qu'en est-il de l'incursion des troupes incontrôlées de Mbemba ? Nous vous rappelons en effet que la période d'avant 2003 est couverte par la loi d'amnistie de 2008. L'amnistie est un acte politique qui a une valeur juridique considérable. Par définition, l'amnistie est un pardon légal. L'amnistie prononcée par le parlement sous forme de loi n'efface pas les faits matériels et leurs conséquences civiles mais éteint l'action publique et efface la peine prononcée. C'est une mesure d'ordre collectif qui concerne une certaine catégorie de personnes. Il est alors important de distinguer l'amnistie de la grâce car le premier est prononcé par voie législative tandis que le second est pris par le Président de la République au bénéfice d'un condamné désigné individuellement ou collectivement. S'agissant de la composition, la cour pénale spéciale centrafricaine est composée des juges nationaux et internationaux. Il en sera de même pour les avocats. Ainsi, il y aura un procureur qui sera un international et un Président qui sera un juge centrafricain, des greffiers...bref les mêmes structures que les tribunaux traditionnels. Ce tribunal temporaire, mixte et hybride aura sa propre police bien formée, son parquet et de tous les degrés de juridiction jusqu'en appel. C'est dans cette optique que le garde des sceaux a lancé un appel à candidature pour recruter les membres de cette prestigieuse cour.
Connaissant le fonctionnement de la machine administrative centrafricaine et surtout dans le domaine de recrutement, qui va choisir équitablement les membres de cette cour ? Peut-on parler de transparence dans le mode de recrutement ? Les dés ne sont-ils pas pipés ? Qu'en est-il des juges qui ont déjà travaillé en coulisse sur les dossiers préparatoires de la cour ? Il faut noter que la cohabitation des juges nationaux et internationaux nous permettra de jauger l'école nationale de la magistrature centrafricaine ainsi que la capacité et l'aptitude de nos juges. Dans le cadre de la coopération, la cour pénale spéciale va collaborer avec la cour pénale internationale sur tous les dossiers. En cas de télescopage ou de concurrence entre la cour pénale spéciale et la cour pénale internationale sur le même dossier, la priorité sera donnée à la cour pénale internationale contrairement au principe de complémentarité prévu par les statuts de Rome qui donne la priorité aux juridictions nationales. Alors, quel est le mode de saisine de la cour ? La cour est saisi par la victime soit par plainte ou dénonciation, soit par constitution de partie civile au procès pénal. L'Etat et le parquet peuvent aussi déclencher l'action publique. Les demandeurs ou plaignants sont exonérés des frais de justice et des frais d'avocats. Ces frais sont pris en charge par le budget de financement de la dite cour. Nous allons maintenant aborder l'épineuse question de la victime. Qui est victime et qui ne l'est pas ? La victime par définition est toute personne qui s'estime léser, qui a subi un préjudice. La victime doit avoir la capacité d'ester en justice et avoir un intérêt pour agir. Les mineurs seront représentés par leurs représentants légaux.
Nous estimons que tous les centrafricains ont subi d'une manière ou d'une autre un préjudice moral. Alors, comment les juges vont s'y prendre ? La charge de la preuve incombant toujours au demandeur, certaines victimes auront des difficultés à prouver leur préjudice. Ce phénomène sera une porte ouverte aux fausses victimes. Certaines catégories de victimes auront peur de se manifester d'où la problématique de la sécurité des victimes et des témoins. Quelles en seront les garanties de sécurité ? Pour finir et en guise de recommandations, nous demandons au pouvoir de faire un choix stratégique favorable à la sécurité en ce qui concerne le choix du siège de la cour. Au besoin, le garde des sceaux peut décider de la rénovation des anciens bâtiments administratifs. Parallèlement, nous soulignons le problème de la capacité d'accueil et d'entretien des maisons carcérales. Ces dernières doivent s'adapter aux normes internationales et surtout entretenu dans le strict respect des droits des détenus. La réussite des travaux de cette cour pénale spéciale centrafricaine édifiera et servira de cas d'école pour les autres États africain. Mais attention, ne le dites à personne. Si on vous demande, ne dites pas que c'est moi.
Paris le 17 décembre 2016.
Bernard SELEMBY DOUDOU
Juriste, Administrateur des Elections.