NOTE JURIDIQUE RELATIVE A LA SAISINE DU PAN PAR M. ADRIEN POUSSOU AUX FINS DE DEMANDE D'AVIS A LA CCT
À l’attention du Président de l’Assemblée nationale.
Vous m’avez sollicité pour avis juridique sur la lettre, datée du 5 juillet 2016, que M.
Adrien POUSSOU vous a adressée, vous invitant à saisir la Cour constitutionnelle de
transition (CCT) d’une demande d’avis à propos des dispositions constitutionnelles
relatives au contreseing de certains actes du Chef de l’Etat.
Les circonstances qui entourent la demande qui vous est faite sont les suivantes. M.
POUSSOU a, le 24 mai dernier, introduit une demande d’avis auprès de la CCT visant
les dispositions constitutionnelles dont l’objet est rappelé ci-dessus. Cette demande a
été déclarée irrecevable en application des articles 97 et 98 combinés de la
Constitution du 31 mars 2016, au motif de « défaut de qualité » de l’auteur de la saisine,
ainsi qu’il ressort du courrier de M. POUSSOU. C’est alors que ce dernier a décidé d’en
référer à vous.
La lettre de M. POUSSOU appelle de ma part les observations juridiques suivantes.
AVIS JURIDIQUE
Mon avis peut se résumer comme suit :
1) Si le Président de l’Assemblée nationale dispose bien du droit de demander des
avis sur les dispositions de la Constitution, une telle demande ne peut être
adressée qu’à la Cour compétente, qui n’est pas la CCT ;
2) A supposer même que la CCT puisse être regardée comme compétente en
matière de constitutionnalité sous l’empire de la Constitution du 31 mars 2016,
cette Cour n’a fait que dire le droit et ses décisions s’imposent à tous, y compris
au PAN
3) En définitive, toute cette affaire procède d’une erreur d’appréciation juridique
de M. POUSSOU quant aux voies de droit qui lui sont ouvertes pour faire
statuer sur les contestations qu’il élève.
I- Il n’y a pas lieu la saisine de la CCT par le PAN
Il y a lieu de rappeler d’abord, de manière liminaire, que le PAN dispose bien
du droit de saisine que M. POUSSOU veut voir actionner.
Ce droit est prévu par l’article 97 de la Constitution du 31 mars 2016 dans les termes
suivants
« Le Président de la République, le Président de l’Assemblée Nationale, le Président du
Sénat, le Premier Ministre ou un quart (1/4) des membres de chaque chambre du
Parlement peuvent saisir la Cour Constitutionnelle d’une demande d’avis ».
De l’économie générale de la Constitution il résulte que la demande d’avis est à
rattacher à deux chefs particuliers de la compétence de la Cour constitutionnelle, visés
à l’article 95, à savoir, d’une part, « interpréter la Constitution » et, d’autre part,
« trancher les conflits de compétence au sein du pouvoir exécutif, entre les pouvoirs
législatifs et exécutifs et entre l’Etat et les collectivités territoriales ».
Reste que, à mon avis, la CCT ne serait pas compétente pour statuer sur une
telle demande d'avis.
Il importe à cet égard de rappeler que la CCT a été instituée par la Charte
constitutionnelle de transition en son article 76, avec une compétence qui est
rattachée strictement, par cet article, à l’application de ladite Charte. C’est si vrai que
la compétence pour interpréter la Constitution est formulée comme compétence pour
« interpréter la Charte constitutionnelle de transition » (art. 76).
Il est noter par ailleurs que la Charte constitutionnelle de transition a cessé d’être en
vigueur le 31 Mars 2016
Certes, l’article 104 de la Charte prévoit que « La Cour Constitutionnelle de Transition
reste en place jusqu'à l'installation effective de la Cour Constitutionnelle issue de la
future Constitution ». Mais cela ne signifie pas que sa compétence soit élargie aux
questions touchant à la nouvelle Constitution. Pour qu’un tel élargissement soit, il
aurait fallu qu’elle soit prévue expressément. Or la Charte constitutionnelle de
transition ne contient aucune disposition en ce sens, et la Constitution du 31 mars
2016, pas davantage. En conséquence, si l’article 154 de ce dernier texte reprend
intégralement à son compte les dispositions précitées de l’article 104 de la Charte
constitutionnelle de transition, ces dispositions doivent être interprétées en ce sens
que la CCT reste en place pour exercer les compétences qu’elle tient de la Charte et qui
trouvent encore à s’appliquer. Cela a été le cas en particulier en matière électorale.
C’est dire que la CCT n’a pas compétence pour interpréter la Constitution du 31 mars
2016, ni pour porter aucune appréciation en rapport avec ses dispositions.
Cette conclusion, j’en ai bien conscience, diverge de la décision de la CCT dans l’affaire
POUSSOU. En effet, cette Cour a choisi de déclarer la demande d’avis irrecevable, ce
qui laisse entendre que si le cette demande avait été introduite par une autorité
« ayant qualité » à le faire, il aurait été statué au fond. Autrement dit, en statuant sur la
recevabilité, la CCT a implicitement mais nécessairement jugé que sa compétence était établie.
Pour les raisons avancées plus haut, je considère que c’est à tort, par une erreur
fondamentale d’appréciation juridique, que la CCT a statué ainsi. Une Cour
constitutionnelle n’est maître de sa compétence qu’en application de la Constitution et
dans le cadre d’une interprétation rigoureuse des dispositions de celle-ci.
II- En tout état de cause, et sur le fond, l’appréciation de la Cour est
conforme au droit constitutionnel en vigueur
Si l’on réserve (ou si l’on met de côté) cette question fondamentale de compétence, la
démarche de M. POUSSOU pose la question de savoir si un particulier peut
introduire une demande d’avis en vertu de l’article 97 de la Constitution actuellement en vigueur.
La réponse à cette question est assurément négative en droit, et ceci pour les raisons
parfaitement exposées par la CCT et rapportées par la lettre de M. POUSSOU: « la
saisine de la Cour Constitutionnelle d’une demande d’avis est réservée au président de la
République, au Président de l’Assemblée Nationale, au Président du Sénat, au Premier
ministre ou à un quart des membres de chaque Chambre du Parlement ».
Pou renverser cette argumentation, M. POUSSOU croit pouvoir opérer un
rapprochement entre la compétence d’avis de la Cour constitutionnelle et le droit des
particuliers de contester la constitutionnalité des lois par voie d’exception, autrement
dit le contrôle de constitutionnalité des lois.
Ce rapprochement est spécieux. La compétence d’avis et le contrôle de
constitutionnalité des textes diffèrent fondamentalement, comme leurs noms
l’indiquent : avis (consultatif) d’un côté, contrôle (contentieux) de l’autre. Le premier,
au surplus, vise à éclairer le sens des dispositions constitutionnelles afin de guider
l’action des institutions, tandis que le second tend à faire censurer les actes
institutionnels, et à faire ainsi disparaître de l’ordonnancement juridique les lois inconstitutionnelles
On peut penser que c’est à dessein que le Constituant a limité l’action en
constitutionnalité des particuliers à la deuxième hypothèse. Le fait est en tout cas que
cette limitation existe. En inférer une compétence de demande d’avis revient à
outrepasser les prévisions constitutionnelles.
En tout état de cause, et à supposer toujours que la CCT soit compétente pour
statuer sur des saisines en rapport avec la Constitution du 31 mars 2016, le PAN
n’a pas pouvoir pour revenir sur les appréciations de la Cour.
Il suffit, sur ce point, de rappeler que, selon l’article 106 de la Constitution du 31 mars
2016, « Les décisions de la Cour constitutionnelle (...) s’imposent aux pouvoirs publics,
à toutes les autorités administratives et juridictionnelles et à toute personne physique ou morale>>
III- En définitive, il y a erreur d’appréciation juridique sur la procédure pertinente
A vrai dire, toute la démarche de M. POUSSOU repose sur une erreur d’appréciation juridique
Au fond, à bien lire sa lettre, cette démarche est fondamentalement une démarche de
contestation de certains actes du Chef de l’Etat, auxquels M. POUSSOU reproche de ne
pas respecter une formalité substantielle (le contreseing) prévue par la Constitution.
Or, primo, la voie de la demande d’avis n’est pas faite pour ce type de cas. C’est par la
voie contentieuse que ce type de contestation peut et doit être traitée et vidée.
Secundo et surtout, s’il avait été bien conseillé, M. POUSSOU aurait su que le contrôle
de constitutionnalité des actes réglementaires – catégorie à laquelle appartiennent les
décrets – ne ressortit pas de la compétence de la juridiction constitutionnelle, mais
plutôt de celle de la juridiction administrative, et plus précisément de la plus haute
juridiction de cet ordre, le Conseil d’Etat. C’est ce dernier qui aurait du être saisie.
Les requêtes de M. POUSSOU sont donc par ailleurs, et tout simplement, mal dirigées.
CONCLUSION
Il suit de tout de qui précède qu’il conviendrait de ne pas donner une suite favorable à
la demande de M. POUSSOU.
Je suggère que soit adressée à l’intéressé une réponse motivée en ce sens, et que soit
donnée à cette réponse une certaine publicité.
Professeur à l’École de Droit de la Sorbonne
Doyen Jean-François AKANDJI-KOMBÉ
Université Paris 1 Panthéon Sorbonne
Conseiller juridique du PAN - RCA