LE PAN RÉPOND A ADRIEN POUSSOU
Monsieur,
Par courrier daté du 5 juillet, vous m'avez demandé de saisir la Cour
constitutionnelle de Transition (ci-après CCT) afin qu'elle rende un avis sur des
dispositions de notre Loi fondamentale relatives au contreseing de certains
actes du Chef de l'Etat.
Président d'une Assemblée nationale attachée au respect du droit, à
commencer par notre Constitution, je ne peux qu'être sensible à votre
démarche, ainsi qu'à votre souci de voir nos institutions respecter
scrupuleusement nos règles suprêmes.
C'est donc avec regret que je me vois dans l'obligation de ne pas donner une
suite favorable à votre demande et ce, pour les motifs suivants.
Le premier de ces motifs est que si le Président de l'Assemblée nationale
dispose bien, en vertu de l'article 97 de la Constitution du 31 mars 2006, d'un
droit de saisine pour avis, la CCT ne me paraît pas l'institution compétente pour
statuer sur une telle saisine.
Comme vous le savez, la CCT a été instituée par la Charte constitutionnelle de
Transition en son article 76, avec une compétence qui est rattachée
strictement, par cet article, à l'application de ladite Charte. C'est si vrai que la
compétence pour interpréter la Constitution, seule concernée ici s'agissant
d'avis, est formulée comme compétence pour ( interpréter la Charte
constitutionnelle de transition > (art. 75).
Vous n'ignorez pas non plus que la Charte constitutionnelle de Transition a
cessé d'être en vigueur le 31 mars 2016.
Certes, l"article 104 de la Charte prévoit que ( La Cour Constitutionnelle de
Transition reste en place jusqu'à l'installation effective de la cour
Constitutionnelle issue de la future Constitution ). Mais cela ne signifie pas que
sa compétence soit élargie aux questions touchant à la nouvelle Constitution.
Pour qu'un tel élargissement soit, il aurait fallu le prévoir expressément. Or,
. force est de constater que la'Charte constitutionnelle de Transition ne contient
aucune disposition en ce sens, et la constitution du 31 mars 2016, pas
davantage.
En conséquence, et si l'article 154 de ce dernier texte reprend intégralement à
son compte les dispositions précitées de t'article IO4 de la Charte
constitutionnelle de Transition, ces dispositions me paraissent devoir être
interprétées en ce sens que la CCT reste en place exclusivement pour exercer
les compétences qu'elle tient de la seule Charte et qui trouveraient encore à
s'appliquer, ce qui fut précisément le cas en matière électorale.
La CCT n'étant ainsi pas compétente pour interpréter la Constitution du 31
mars 2016, ni pour porter aucune appréciation en rapport avec ses
dispositions, la saisir serait de nature non seulement à perturber l'économie
constitutionnelle de nos institutions, mais aussi à créer chez nos compatriotes
des espoirs qui seraient forcément déçus.
Le second motif qui me contraint à ne pas donner une suite favorable à votre
demande est que celle-ci me paraît plutôt mal dirigée.
En effet, si j'ai bien compris votre lettre, votre démarche est
fondamentalement une démarche de contestation de certains actes du Chef de
l'Etat, auxquels vous reprochez de ne pas respecter une formalité substantielle
- le contreseing - prévue par la Constitution.
or, primo, la voie de la demande d'avis ne me semble pas faite pour ce type de
cas. C'est par la voie contentieuse que ce type de contestation peut et devrait
être traité et vidé.
Secundo et surtout, vous ne pouvez ignorer que dans notre système juridique
le contrôle de constitutionnalité des actes réglementaires - catégorie à laquelle
appartiennent les décrets - ne ressortit pas de la compétence de la juridiction
constitutionnelle, mais plutôt de celle de la juridiction administrative, et plus
précisément de la plus haute juridiction de cet ordre, le Conseil d'Etat'
Telles sont les raisons dirimantes qui m'obligent à prendre la position dont je
vous ai informé au début de cette missive.
permettez cependant que je complète ces raisons par un point de clarification
qu'appelle votre lettre.
Tout en étant honoré par votre sollicitude, le Président de l'Assemblée
nationale que je suis ne voudrait pas laisser s'installer dans l'esprit de nos
compatriotes une fausse lecture de notre Constitution, une lecture selon
laquelle il y aurait obligation pour le PAN de saisir la Cour constitutionnelle
lorsque des citoyens en formulent la demande.
Car la Constitution du 31 mars 2016 est très claire sur ce point: les particuliers
disposent d'un droit propre de, saisine prévu à l'article 98 de la Constitution,
distinct des droits de saisine reconnus aux pouvoirs publics, dont celui érigé par
l'article 97.
par ailleurs, les droits de saisine prévus par ces deux dispositions s'exercent
dans des contextes et pour des finalités différentes : les particuliers saisissent
la Cour constitutionnelle en vertu de l'article 98 pour faire contrôler la
constitutionnalité des lois, tandis qu'une saisine de cette Haute juridiction par
le PAN au titre de l'article 97 vise à obtenir un avis.
Je considère pour ma part que cette différence entre les deux types de saisines
et entre les deux types d'appréciations de la Cour est irréductible et ne permet
pas de les rapprocher comme vous faites. S'agissant des saisines, il est
d'évidence que l'une vise à éclairer le sens des dispositions constitutionnelles
afin de guider l'action des pouvoirs publics (art.97), alors que l'autre tend à
faire censurer les actes de l'Assemblée nationale, et à faire ainsi disparaître de
l'ordonnancement juridique les lois inconstitutionnelles. Quant aux
appréciations, les simples appellations suffisent à marquer cette différence
juridique : I'avis renvoie à l'exercice d'un pouvoir consultatif quand le contrôle
renvoie au contentieux.
Ceci pour dire que, telle que je la lis, notre Constitution ne prévoit pas d'autre
voie de recours en constitutionnalité pour les particuliers que celle de l'article
98. Elle ne prévoit notamment pas la voie indirecte qui consisterait à faire
activer le droit de saisine pour avis prévu à t'article 97.
ll suit de là qu'il revient au PAN, tout comme aux autres institutions visées à cet
article, d'apprécier discrétionnairement la nécessité, mais aussi l'opportunité
d'une demande d'avis.
Espérant avoir ainsi répondu aux interrogations que pourraientt susciter chez vous
ma décision de ne pas donner une suite favorable à votre demande, je vous
prie, cher Monsieur, de recevoir l'expression de ma meilleure considération.
A
Monsieur Adrien POUSSOU
Ancien Ministre
BANGUI
ABDOU KARIM MECKASSOUA