DROIT ET POLITIQUE NE FONT PAS BON MÉNAGE...
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La décision de la Cour Constitutionnelle de transition du 25 janvier continue de faire des vagues quand bien même que cette dernière ne souffre d'aucun recours et est opposable à tous. Il s'agit d'un imbroglio politique qu'une décision judiciaire d'où l'incompréhension et l'indignation de bon nombre d'entre nous. La cour constitutionnelle est la structure juridictionnelle compétente pour traiter les contentieux électoraux sur la base du code électoral en vigueur. Ainsi la cour est appelée à veiller à la régularité des opérations électorales, à examiner les recours et à proclamer les résultats. A ce titre, la cour constitutionnelle est le garant de la sincérité et de la moralité des élections. Évidemment qu'après avoir statué, la cour doit soit valider, soit réformer ou redresser, soit annuler partiellement ou totalement les opérations électorales. Cette décision tant controversée est-elle légitime et justifiée ? Certains d'entre nous pensent qu'ils détiennent le monopole de la vérité juridique et s'insurgent contre toutes opinions contraires liées aux élections. Je me souviens encore des propos d'un de mes célèbres professeurs à la faculté de Droit de Bangui, le Défunt Moudjo qui nous disait je cite "il n'y a pas de petits ni de grands juristes". Les fondamentaux du Droit sont les mêmes pour les apprentis et les chevronnés. Le Droit, ce n'est pas le fanatisme, les sentiments ni une croyance. C'est un ensemble de règles codifiées pour régir une société donnée. Lorsqu'une institution ne remplit pas légalement ses missions, elle est taxée d'incompétence nonobstant la valeur intrinsèque des membres la constituant. La cour constitutionnelle s'est permis le luxe de rejeter tous les moyens invoqués par les requérants pour absence de preuves et que les innombrables irrégularités n'ont aucune incidence sur les résultats. Une irrégularité minime soit-elle répond à la même définition. Les irrégularités qui peuvent se dérouler pendant une élection sont appelées "fraudes". Ces irrégularités peuvent concerner les opérations électorales elles-mêmes, les manœuvres constatées pendant les campagnes, le jour du vote ainsi que les opérations post vote. Ces irrégularités portent évidemment atteinte au principe d'égalité entre les candidats car elles favorisent les uns aux détriments des autres. Elles doivent être sanctionnées car elles faussent l'expression du choix des citoyens: c'est la mission principale de la cour constitutionnelle. C'est dans cette optique que le code électoral dans son article 132 dispose l'annulation des élections est prononcée si des irrégularités avérées sont susceptibles d'inverser les résultats eu égard à l'ampleur et au faible écart de voix qui sépare les candidats OU si les circonstances du déroulement des opérations électorales ont pour effet d'empêcher l'exercice de tout contrôle sur la sincérité des résultats". La lecture juridique de cet article laisse entrevoir deux moyens non cumulatifs mis à la disposition de la haute cour, malheureusement cette dernière a biaisé la pensée du législateur. L'idéal dans cette polémique était soit de tout valider, soit de tout annuler. La fâcheuse vérité est que la haute est consciente de l'organisation chaotique des élections en Centrafrique et voulait tout annuler mais en fonction des pressions, elle a décidé d'annuler le moins sensible c'est-à-dire les législatives car c'était le moindre mal. Par contre tout annuler allait nous conduire à la question vitale : qui va financer l'ensemble des opérations électorales ? Les rapports de l'ANE confirment les innombrables irrégularités liées à l'organisation des élections couplées mais l'incompréhension vient du fait que des élections couplées soient organisées le même jour, avec la même liste électorales, cartes d'électeurs, même composition de bureaux de vote, même mode d'organisation matérielle et logistique mais au final...je ne vous apprend rien. La suite logique de cette jurisprudence est de vivre des annulations d'élections en cascade car depuis ce jour, une question récurrente se pose en filigrane : Comment l'ANE va relever le défi en si peu de temps pour organiser encore des élections couplées sans irrégularités ? Alors qu'on nous disait que les élections couplées du 30 décembre 2015 allaient prendre en compte les errements du référendum ? Sous certains cieux, on nous fait un catalogue des décisions rendues par les tribunaux français dans le but de remplir les pages et on nous parle de la constance de la jurisprudence, pour confirmer cette constance, on ose croire que les élections couplées du 14 février 2016 subiront le même sort car l'ANE fera encore pire en termes d'organisation. Nous nous demandons au passage de ce qu'on a fait des propos de Mr Fidèle Ngouandika ( candidat à cette même élection ) posté sur Facebook qui affirmaient que " les petits candidats ont eu chacun une enveloppe pour laisser gagner Patassé au premier tour" alors que la Ceni de l'époque avait déjà commencé à imprimer les bulletins de vote du deuxième tour ? On a attendu en vain des démentis après ce post ni une information judiciaire pour des accusations aussi graves. La cour constitutionnelle avait-elle dit le droit dans ce cas ? Pour clore définitivement ce débat, cette décision polémique a pris sa source dans l'environnement socio-militaro-politique du pays et la fragilité de l'acquis sécuritaire mais n'a pas dit le droit. Les électeurs sont restés dubitatifs et convaincus que la cour constitutionnelle a privilégié des considérations politiques. La haute cour s'est bornée à rejeter les moyens invoqués par les requérants pour absence de preuves. Dorénavant, et dans le souci de faire avancer la démocratie dans notre chère nation, nous proposons à cette prestigieuse cour d'avoir ses propres observateurs dans les centres et bureaux de vote. Ainsi, ils pourront rassembler des éléments de preuves au lieu de faire peser sur le requérant seul la charge de la preuve des irrégularités qu'il invoque. En dépit de toutes ces critiques, dès lors que la cour constitutionnelle de transition a rendu sa décision au nom du peuple centrafricain, nous nous inclinons mais on est pas dupe.
Bernard SELEMBY DOUDOU, Juriste, Administrateur des élections