LES ELECTIONS EN CENTRAFRIQUE, OUI, MAIS LE DÉSARMEMENT D'ABORD
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Observations à la déclaration de Monsieur le Ministre LE DRIAN
De « la seule solution, c’est le désarmement » à « la seule solution, c’est les élections »
Monsieur LE DRIAN, Ministre français de la défense a déclaré à Dakar au Sénégal, je le cite « Qu'est-ce qui vaut mieux ? Pas d'élections du tout ou provoquer des élections sur la base d'un recensement qui a été effectué et qui permet d'avoir une légitimité ? Je suis pour la deuxième solution ». Fin de citation.
Ses propos font échos à l’annonce faite par Monsieur Julius NGOUADE-BABA, Rapporteur Général de l’Autorité Nationale des Élections (ANE), le 9 novembre 2015 selon laquelle ladite institution envisage d’organiser les élections en Centrafrique de sorte qu’il y ait le référendum constitutionnel le 13 décembre suivi du premier tour des élections présidentielle et législatives, le 27 décembre. Le second tour des élections se déroulera le 31 janvier 2016.
Un autre membre du Gouvernement français, madame Annick GIRARDIN, Secrétaire d’État au développement avait déjà ouvert le chemin. En visite à Bangui pour préparer les esprits mais en réalité, c’est pour exercer une « pression amicale », elle a déclaré : « il est désormais hors de question de reculer ». Le volet financier des élections est bouclé. Pour le volet technique, les Centrafricains, avec l’appui de la France et de l’ONU, « seront au rendez-vous ». Ce qui veut dire que l’argument financier, l’une des raisons qui avait été évoqué par les responsables démissionnaires de l’ANE, n’est plus d’actualité.
Certains responsables politiques centrafricains y sont favorables. Monsieur Martin ZIGUÉLÉ affirmait être d’accord avec la déclaration du Président tchadien relative à la fin de transition et l’organisation des élections en 2015. Monsieur Anicet Georges DOLOGUÉLÉ s’est dit assez satisfait de ce chronogramme électoral. Nombreux sont d’autres hommes politiques piaffent d’aller aux élections. Certains se sont déjà empressés pour déposer leur candidature.
Monsieur LE DRIAN ainsi que la communauté internationale qui poussent à ces élections sont donc confortés dans leur position tant et si bien que les candidats qui se sont décrétés favoris des élections sont tous d’accord pour aller aux élections au mépris de la sécurité de des populations censées être leurs électeurs.
Pour couronner le tout, la Cheffe d’État de Transition vient de convoquer par décrets n°15.401 et n°15.402 du 10 novembre 2015 le corps électoral pour le référendum constitutionnel et le premier tour des élections présidentielles.
Le chronogramme électoral de l’ANE et la convocation du corps électoral par la Cheffe d’Etat de Transition ont clos le débat sensible et agité des élections en Centrafrique.
En apparence, ce sont les autorités de Transition qui ont décidé de cette date pour les élections en Centrafrique comme l’a affirmé monsieur José Richard POUAMBI, Président du Haut Conseil de la Communication de la Transition. « J’avoue, dit-il, que la date a été fixée en toute liberté, en toute souveraineté en fonction des paramètres techniques. Il n'y a eu aucune influence extérieure ». D’ajouter que : « l’Autorité Nationale des Élections est une institution indépendante qui ne reçoit d'influences d'aucune autre institution ni de la part du Chef d’État, ni de la part du Premier Ministre, ni de la part du Président du Conseil National de Transition ». Qu’en sera-t-il des responsabilités demain si le pays est précipité dans le vide ? Parlera-t-il demain encore dans ces conditions de souveraineté ou plutôt de responsabilité ?
Mais en réalité, ce calendrier a été imposé aux Autorités de la Transition par la communauté internationale et la France. C’est même à cause de ces pressions incessantes que monsieur Dieudonné KOMBO YAYA Président de l’ANE a dû démissionner. Puisque c’est eux qui financent les élections, c’est leur décision qui compte confirmant ainsi l’adage « qui paie décide ».
Par ailleurs Maître Nicolas TCHIANGAYE, président de l’AFDT a démontré l’illégalité de ce chronogramme par rapport au code électoral modifié sur lequel sont fondés les décrets de convocation du corps électoral pour le référendum et les élections présidentielles et législatives.
La déclaration de monsieur le Ministre LE DRIAN atteste mon argumentation quand il dit : « on est en situation d'organiser le premier tour avant la fin de l'année et le deuxième au début de l'année prochaine ». Cette déclaration corrobore la position du FMI qui avait déjà menacé les Autorités de Transition de fermer le robinet financier si les élections ne se tenaient pas à la fin de cette année.
Tout a été minutieusement préparé. Monsieur le Ministre LE DRIAN n’a fait qu’appuyer le bouton pour déclencher les choses, donner le top départ d’une manifestation : déclaration en marge du sommet des Chefs d’État africains pour la paix à Dakar, branle-bas à Bangui. Une rafale de décisions « souveraines » à Bangui à savoir la fixation du calendrier électoral par l’ANE, affichage des listes électorales, publication des décrets présidentiels convoquant le corps électoral, satisfecit des candidats favoris aux élections, la visite du site électoral du 1er arrondissement de Bangui à l’école Hassana de SICA 1 du Représentant Spécial du Secrétaire Général des Nations-Unies, du Responsable des élections à la MINUSCA, de l’Ambassadeur de France en RCA, etc… pour dire leur satisfaction du travail accompli.
Question : où en est-on avec le désarment pour lequel la force Sangaris et la MUNISCA ont reçu mandat du Conseil de Sécurité des Nations-Unies de l’effectuer en vue de protéger les populations civiles ?
Au début de cette crise centrafricaine, toutes forces internationales, y compris leurs chefs, étaient d’accord à l’unisson pour le désarmement.
Le Ministre français de la défense en était le défenseur acharné du désarment. Interrogé à l’émission Le Grand Jury RTL-Le Monde en date du 8 décembre 2013, monsieur LE DRIAN disait : « la seule solution, c’est le désarmement ». Il ajoutait ceci « nous avons patrouillé pour montrer à tous ces groupes, en ville et dans la forêt, que la période d'impunité est terminée... La seule solution c’est le désarmement ».
À une question relative à la séléka de monsieur DJOTODIA, il répondait : « ceux qui sont organisés et qui répondent aux ordres de DJOTODIA, seront cantonnés (...).S’ils sortent, on va leur demander gentiment de remettre leurs armes. S’ils ne respectent pas, on utilisera la force».
Lors de cette émission le Ministre LE DRIAN avait déclaré avec lucidité que l’intérêt principale de la France dans cette intervention en Centrafrique, c’est « notre sécurité » c'est-à-dire que la sécurité de la France qui était aussi en jeu.
Écoutons encore le ministre LE DRIAN : « si on laisse le pays aller à feu et à sang… Si on laisse le pays prendre cette direction, c’est le meilleur creuset du terrorisme ». Monsieur le Ministre LE DRIAN rappelait pour reprendre les propos de monsieur Herman Van ROMPUY à l’époque Président du Conseil Européen que : « c’est la sécurité de l’Europe qui se joue là ».
Nous sommes en droit de demander si le désarment a été effectif. Quel est le bilan que l’on peut tirer aujourd’hui ? Est-ce que la sécurité est revenue avant d’aller à ces élections ? La réponse à ces interrogations est bien évidemment négative. Il n’y a eu en Centrafrique ni désarment ni sécurité. Diable ! Comment peut-on organiser les élections dans ces conditions ?
Sur ce sujet, le ministère français de la Défense et celui des Affaires Étrangères (du moins du point de vue des techniciens de ce ministère), n’ont pas la même vision des choses. Le ministère de la Défense défend une logique financière. Celui des Affaires Étrangères est conscient que les conditions de consultation populaire ne sont pas réunies en Centrafrique. Qu’à cela ne tienne, « il vaut mieux une mauvaise élection qu’une transition chancelante ». Ainsi a tranché monsieur le Président tchadien Idriss DEBY à sa sortie d’un entretien début octobre 2015 avec le Président François HOLLANDE à l’Élysée. La République Centrafricaine n’a droit qu’à tout ce qui est mauvais et dangereux pour sa survie et son développement. C’est son sort. C’est sa croix qu’elle doit porter à l’infinie.
Même Jésus-Christ qui avait été obligé à porter sa croix a eu droit à l’aide d’une tierce personne notamment SIMON le cyrénéen à un moment de sa montée au Golgotha.
Ce qui est enjeu ici, ce n’est pas de la Transition qu’il s’agit. C’est de l’avenir d’une Nation et d’un peuple. Il est question des millions de personnes qui aspirent à la paix et au développement. C’est cela le vrai enjeu de ces élections qui devraient marquer le nouveau départ de la RCA afin d’en finir avec le mythe de Sisyphe dans ce pays.
Les observateurs les plus avisés pensent qu’organiser les élections dans ce contexte à Centrafrique, c’est enfoncer encore davantage le pays dans le chaos.
Monsieur Thierry VIRCOULON, de l’International Crisis Group fait le constat suivant : « tant qu'il n'y a pas un minimum de sécurité, le processus politique va rester bloqué. Si on veut changer les rapports de forces, il faut arrêter les gens, signaler qu'on ne tolère plus l'impunité, ne pas négocier avec des criminels ».
Il poursuit : « il n'y a pas eu de désarmement à Bangui, alors que c'était le mandat premier de Sangaris. Le gouvernement est toujours sous la pression des groupes armés ».
Le désarment, c’était le pilier de l’action des forces internationales mandatées par les Nations-Unies. Cet objectif de désarmement a été transformé on ne sait pour quelles raisons en mesure de confiance. Ce qui veut dire qu’on laisse les groupes armés porter leurs armes. Tant qu’ils n’en font pas usage, ils ne sont pas dangereux. Les forces internationales n’interviendront qu’en cas de danger. C’est un détournement pur et simple des termes de résolutions du Conseil de Sécurité des Nations-Unies. En réalité, les groupes armés font usage depuis trois ans au quotidien sur la population civile, en toute impunité.
Les élections doivent être organisées dans un environnement apaisé. Qui dit élections, dit liberté de circulation, liberté d’aller et venir pour les candidats, leurs équipes, leurs supporters. Sera-t-il possible aux candidats et leurs équipes de battre librement campagne ? Pourront-ils sans risques pour leur vie distribuer les tracts, coller les affiches ? Pourront-ils sans risques aller dans toutes les villes du pays battre campagne, serrer les mains, faire des meetings ? Les élections, c’est l’occasion d’être en communion avec les citoyens, d’écouter leurs doléances. Pour ce faire, il faut aller dans les coins et recoins du pays. Ce qui est impossible actuellement. Si les candidats ne peuvent librement faire campagne. S’ils ne peuvent être représentés dans les différents bureaux de vote sans craindre pour leur vie, cela est facteur qui peut occasionner des fraudes massives. Donc ces élections ne seront en aucun cas crédibles et transparentes. Ceux qui poussent à l’organisation de ces élections bâclées le savent pertinemment.
J’aimerai poser une question au Ministre de la Défense monsieur LE DRIAN qui est un démocrate convaincu. Vous êtes candidat aux élections régionales en Bretagne qui auront lieu dans un mois.
À supposer que les bonnets rouges soient des groupes armés, oseriez-vous faire librement campagne dans toute la Bretagne ? Pourriez-vous aller sur les marchés pour tracter ? Circuleriez-vous librement dans les villes et campagnes bretonnes sans crainte de votre vie et celle de vos collaborateurs ? Si tel n’est pas le cas monsieur le Ministre, vous comprendrez aisément notre préoccupation de ne pas organiser les élections en Centrafrique avant le désarmement des groupes armés comme vous l’avez si bien dit avec fermeté lors de votre émission au Grand Jury RTL-Le Monde en décembre 2013.
Les élections sont des grands moments de la vie d’une Nation a fortiori en développement. C’est à cet instant qu’elle se choisit ses représentants légitimes.
Jean JAURÈS avait dit : « C’est en allant vers la mer que le fleuve reste fidèle à sa source ».
Je le paraphraserai en disant que, c’est en allant vers le peuple que les dirigeants retrouvent leur légitimité. Or, dans le cas centrafricain avec ces élections que l’on veut coûte que coûte, cette légitimité sera tronquée.
Question : Comment et pourquoi monsieur le Ministre LE DRIAN s’est-il déjugé en l’espace de 23 mois seulement (8 décembre 2013-9 novembre 2015) ?
Il est de notoriété publique que l’opération de désarment a connu un échec cuisant en République Centrafricaine. Le mandat des Nations-Unies n’a pas été respecté. Tout le monde en est conscient. C’est une vérité. Et quand la vérité est nue, il ne faut pas chercher à l’habiller.
Des élections à tout prix aux élections à tous les prix sans le désarmement.
Les grandes chancelleries étrangères et la communauté internationale veulent les élections à tout prix en Centrafrique. Que celles-ci se puissent avoir lieu à la fin de cette année. Qu’elles soient bien organisées ou pas, ce n’est pas leur problème. Ce qui importe, ce sont les élections à organiser afin de justifier non seulement leur présence et surtout leurs actions sur le terrain. Au moins, ils diront que nous avons organisé les élections et instauré des autorités « légitimes » sur la braise. Cette communauté internationale et ces chancelleries se donneront ainsi la bonne conscience alors que le problème de l’insécurité qui engendre le banditisme et le terrorisme va demeurer. Cette élection à tout prix va engendrer les élections à tous les prix.
Les prix humains d’abord. Combien vont coûter les hommes, les femmes et les enfants qu’on va assassiner, égorger pour organiser ces élections ? Zéro franc !!! J’aurai pu dire zéro sou car le franc a une valeur supérieur au sou.
Le Ministre français de la défense le reconnait volontiers quand il dit : « le fait que cette échéance approche aboutit à des tensions importantes (...) sur lesquelles et la MINUSCA (force de l'ONU) et la force française Sangaris sont très vigilantes. Il y a des acteurs centrafricains qui n'en veulent pas ». De tensions qui font couler le sang des innocents qui ne demandent pas autre chose que le droit sacré à la vie.
Bien avant monsieur LE DRIAN, la Secrétaire d’État française au développement, madame Annick GIRARDIN a reconnu le risque sécuritaire très élevé dans le pays. Alors que valent les Centrafricains et les Centrafricaines qui tombent comme des mouches sous les balles des criminels organisés connus des responsables civiles et militaires Nations-Unies, de la Sangaris ainsi que ceux des grandes chancelleries qu’ils refusent de désarmer ? Rien !!! Absolument rien. Quel est le prix de la vie des innocents qui meurent à chaque seconde sous les balles des terroristes que cette fameuse communauté internationale câline toujours et encore? Même pas une piastre.
Quand ils en ont l’opportunité, ils n’hésitent pas à abattre froidement certains militaires de la MINUSCA. C’est le cas du soldat camerounais de la MINUSCA tué à Batangafo il y a quelques jours. Ces criminels, sans foi ni loi, n’ont pitié de personne. La MINUSCA et la force Sangaris le savent. Tant que ces gens détiennent encore des armes par « mesure de confiance », il n’y aura pas la paix dans ce pays. C’est la paix qui induit la réconciliation. Pour que la paix vienne, il faut désarmer de gré et/ou de force les porteurs illégaux d’armes de toutes les sortes. Car tous les appels au désarmement volontaire se sont soldés en échec pur et simple. Pas de désarment, point de paix en Centrafrique où une grenade coûte moins chère qu’une baguette de pain. La République Centrafricaine qui, selon les récentes statistiques de l’Office des Nations-Unies contre la drogue et le crime (UNODC), figure parmi les pays africains ayant un taux le plus élevé d’homicides volontaires n’aura pas de salut sans le désarment.
Le renforcement de la MINUSCA par de nouveaux contingents annoncés ne règlera pas le problème. C’est une façon de mettre un plâtre sur une jambe de bois. La stratégie consistant à sécuriser les élections sans désarment est une mauvaise stratégie qui ne va pas régler le problème centrafricain.
Les élections se feront à tous les prix au sens monétaire du terme ensuite. Le coût annoncé de ces élections se chiffre par milliards de francs CFA. La démocratie n’a pas de prix. Soit ! Après les démissions en cascade à l’Agence Nationale des Élections (ANE), il semblerait que la caisse de cette institution est maintenant abondée de millions d’euros. Comme l’a dit Annick GIRARDIN, « le volet financier des élections est bouclé ». Sans ces dons en monnaies sonnantes et trébuchantes, l’ANE serait devenue l’ÂNE.
Ces millions d’euros dont on salue l’arrivée dans les caisses de l’ANE, sont des aides. On sait que les aides sont toujours liées. Qui paiera ? Qui paiera les coûts de l’intervention de la force Sangaris en Centrafrique ? Qui paiera le coût de l’intervention de l’EUFOR-Centrafrique ?
Ces questions trouveront réponse dans le long terme. Mais dans le long terme, nous serons tous morts. Ce n’est pas moi qui le dis. C’est l’économiste John KEYNES qui l’a dit.
En définitive, une Nation qui se respecte doit choisir ses dirigeants de manière démocratique. C’est par la voie électorale que ce choix doit se faire. Si c’est par la voie élective que ce choix doit être fait, il doit l’être dans la paix et la concorde. Or, c’est le contraire que l’on veut imposer au peuple centrafricain. Il ne peut y avoir d’élections dans un pays en conflit armé comme la RCA qu’après le désarmement. C’est le cas au Mozambique qui a organisé des élections réussies après le désarment des factions armées. C’était aussi le cas en Sierra Léone.
Aux dernières nouvelles, les trente (30) kits de comprenant les formulaires d’inscription sur les listes électorales et le matériel électoral de la ville de Kouango a été saisi par un groupe armé qui demande une rançon de 70 millions de FCFA (106 714,31 €). Ce phénomène pourrait se multiplier dans les jours à venir.
La population centrafricaine ne souhaite pas aller aux élections, les fusils à la tempe.
Le peuple centrafricain a dit « oui » pour les élections. Mais elle exige le désarment d’abord.
Gaston KONGBRÉ