LES VRAIS ET FAUX DEBATS SUR LA TRANSITION ET LES ELECTIONS EN CENTRAFRIQUE

Publié le par GAB

Bonda Bernard Ministre
Bonda Bernard Ministre

Sensible, et sujet à polémique comme l’affirme certaine opinion, la question de la prorogation de la transition corolaire de la non tenue des élections dans les délais initiaux de juillet-aout 2015, devient le lieu de tous les calculs politiciens et d’intérêt non avoué de ceux qui pour certains, veulent faire durer le plaisir de la « mangeocratie », et pour d’autre un levier inespéré d’une redistribution des cartes d’accès au pouvoir (la tentation qui continue de casser la République).

Je voudrai d’entrée de jeux regretter la virulence du propos du compatriote Poussou, Conseiller au cabinet du Premier ministre qui qualifie derechef ses potentiels contradicteurs de mauvaise foi et les accuse d’entrevoir un dessein funeste. C’est un manque de tolérance envers des compatriotes qui peuvent avoir des points de vue contraires, et je considère que de la part d’un intellectuel qui aime le débat, cela est un écart de langage qui contredit son image.
Le fait d’admettre que la question des élections est source de polémique et que « par devoir de responsabilité nous nous devons de l’évoquer sous toutes les coutures », devrait nous obliger à faire preuve d’ouverture d’esprit et de tolérance pour des propos qui ne sont pas le notre.
Mais toute polémique écartée, je rassure que mon point de vue est une contribution à l’invite qui est adressée à tous par monsieur Poussou dans sa publication diffusée sur la page web « taka-parler ».
Monsieur Poussou affirme que les autorités se démènent pour « la mise en œuvre de la feuille de route de la Transition décidée (imposée?) par la communauté internationale dont le point culminant est l’organisation des élections exemplaires et saluées afin de doter notre pays des institutions ayant l’onction du suffrage universel ».
Deux idées forces sont contenues dans cette affirmation. La première est que nous n’avons aucune initiative nationale qui engage la Communauté internationale mais plutôt des diktats de celle-ci qui structurent la transition. La deuxième est que nous sommes tenus malgré tout d’organiser des élections qui soient acceptables, « exemplaires » et qui respectent le suffrage universel.

Cette affirmation me conforte à l’idée que nous n’avons pas à continuer de nous laisser infantiliser et terroriser par les tenants de l’idée selon laquelle les centrafricains seront incapables de se prendre en charge si la Communauté internationale se retire, comme si notre pays ne représentait aucun intérêt pour le monde. Cela est une vision étriquée de la géopolitique et de la géostratégie mondiale. La Communauté internationale est plurielle.
Agiter constamment l’épouvantail de l’abandon par la Communauté internationale pour nous forcer dans une autre inconnue n’est pas moins dramatique que de se hâter lentement. La question n’est pas de se passer de la Communauté internationale, mais de s’approprier, avec l’appui de celle-ci, du processus de transition et des différentes problématiques de sortie de crise. Ce que aucun des gouvernements qui se sont succédés n’ont pu faire avec la Communauté internationale.
Nous nous devons de comprendre les non exprimés de l’agenda et du mode opératoire de la MINUSCA en Centrafrique. Par exemple, certaines indiscrétions des hommes de cette institution affirment que désarmer les quartiers du 3ème, du 4ème et du 5ème arrondissement de Bangui c’est achever la mission de la MINUSCA. Nous comprendrons ainsi (en partie) l’avancée à reculons des partenaires extérieures devant les demandes de financement des programmes du gouvernement pour les élections, le désarmement et l’insertion des combattants, la réforme rapide des forces de défense nationales.
Sans une appropriation nationale du processus de la transition, nous n’aurons pas fini de nous jeter des pierres pour rien.
J’avais attiré l’attention du Premier ministre Nzapayéké à la tribune du CNT à l’époque, que l’appropriation du processus de transition exigeait, dès l’implication de la Communauté internationale, une concertation entre les représentants de celle-ci, du gouvernement et des parties prenantes à la transition (partis politiques, société civile, plate forme religieuse et politico-militaires) aux fins de procéder à :
- Une analyse commune de la crise pour convenir de sa définition et des ses causes profondes ;
- Une définition des moyens d’en sortir et des méthodes d’action ;
- Une définition des objectifs et de la hiérarchisation des priorités d’action ;
- Une définition des méthodes de suivie et d’évaluation des résultats etc..
Cet exercice nous aurait permis d’éviter que le gouvernement (atone et sans initiative) ne se laisse dicter par la Communauté internationale ce qu’il doit faire. En fait, et c’est ce que dit la Feuille de route de Monrovia sur la consolidation de la paix et le renforcement de l’Etat (post-conflit) de juillet 2011, je cite : « la construction de la paix et le renforcement de l’Etat doivent se faire sur la base d’une appropriation nationale ».
Pour qu’il y ait appropriation nationale, les initiatives doivent venir des institutions nationales qui, dans un cadre concerté, sollicitent des partenaires l’expertise nécessaire et l’appui de ces derniers dans la mise en œuvre des programmes ainsi définis.
Dans le volet renforcement de l’économie, la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide au développement, au point 39 (2005) recommande aux donneurs «..d’harmoniser davantage leurs activités lorsque l’Etat partenaire n’assume pas pleinement son rôle.. ». ils doivent «..s’aligner dans toute la mesure du possible sur les stratégies conduites par l’administration centrale du pays partenaire et, lorsque ce principe ne peut s’appliquer, utiliser au maximum les systèmes nationaux.. ».
Ils doivent «..éviter les activités qui nuisent au renforcement des institutions nationales.. ».
Si tous ces principes et directives sont battus en brèche en Centrafrique c’est à cause de notre incompétence ou de notre manque de courage politique.
Cette méthode devait être le mode de gestion des grands programmes qui articulent le processus de la transition (le DDR, l’élaboration de la constitution, le chronogramme des élections pour ne citer que ceux-là). Nous avons, depuis, assisté à autre chose.
Un exemple flagrant du manque de sérieux et de responsabilité des centrafricains est dans la manière dont est traitée la question de la prolongation de la transition et du nouveau chronogramme des élections. L’initiative de la prolongation de la transition est constitutionnellement reconnue aux « trois têtes » de la transition (le chef de l’Etat, le Premier ministre, le Président du CNT) qui en informent les Chefs d’Etat et de gouvernement de la CEEAC.
Proclamer que les autres Chefs d’Etat de la sous-région vont être occupés à organiser les élections dans leur pays en 2016, et qu’il nous faudrait, par résignation, aller aux élections vaille que vaille, quoiqu’il arrive, est irresponsable et suicidaire.
Le péril est-il plus grand en n’allant pas aux élections avant décembre 2015 qu’en organisant des élections à la va vite avant la fin de l’année, même si elle ne se tient de façon libre et transparente sur tout le territoire national?
Ce dont la Communauté internationale a besoin, c’est que les Centrafricains donnent le gage d’un consensus sur le processus des élections conforme à leur appréciation du contexte national et international.
Une lecture froide et responsable de nos textes et du contexte nous permettra de proposer à la Communauté internationale ce qui convient le mieux pour la sortie de crise. A cet effet je crois que les propositions suivantes doivent être examinées.
La déclaration du forum relative au chronogramme électoral a recommandé la convocation en urgence d’une réunion de concertation entre le Gouvernement, l’Autorité nationale des élections, le Cadre de concertation pour les élections, le Groupe international de contact, la Médiation internationale et la CEEAC.
Cette déclaration avait pris en compte l’imminence de la date initiale des élections prévues aux mois de juillet et aout 2015 devant mettre en place les nouvelles institutions démocratiques légitimes, et la contrainte des impondérables que sont l’absence de sécurité et de l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire, le désarmement encore non engagé, et la tenue du referendum constitutionnel préalable aux élections présidentielles et législatives, pour ne citer que ceux-ci.
S’agissant de la problématique des élections, il convient de rappeler que depuis 2011, les ateliers de concertation entre les forces vives de la nation en phase d’élaboration du Code électoral, avaient prescrit le consensus comme moyen de règlement des questions relatives au processus électoral.
Dans l’esprit de ce consensus, il fut créé une autorité administrative indépendante dénommée : « Autorité nationale des élections » composée des représentants des acteurs (Gouvernement, partis politiques et société civile) et un « Cadre de concertation des élections » chargé d’organiser un espace de dialogue entre les acteurs sur les questions électorales et de consigner le consensus obtenu entre ces derniers (articles24 et 25 du Code électoral).
Il en ressort un cadre logique qui s’impose à toutes les autorités de la transition : la Chef de l’Etat de transition, le Gouvernement de transition, et le Conseil national de transition.
La mise en œuvre de la recommandation du forum devra suivre ce cadre logique qui s’inscrit dans l’esprit de la transition inclusive, concertée et consensuelle. Les fruits de cette démarche offriront aux représentants de l’Etat à la réunion de concertation avec les partenaires (Groupe international de contact, Médiation internationale et CEEAC) un document de consensus national établi entre tous les acteurs au processus électoral.
Le document de consensus national sur le chronogramme des élections motivera la déclaration conjointe des autorités nationales (Chef de l’Etat de transition, Premier ministre de transition et Président du Conseil national de transition) relative à la prorogation de la transition devant la Conférence des Chefs d’Etat de la CEEAC conformément à l’article 102 al.2 de la Chartes.
A cet effet, et conformément à l’article 26 du Code électoral, l’Autorité nationale des élections, le Cadre de concertation des élections devaient convenir de convoquer en urgence tous les acteurs au processus électoral (partis politiques et candidats aux prochaines élections présidentiels) pour débattre sereinement et avec responsabilité d’un chronogramme réaliste et salutaire des prochaines élections présidentielles et législatives.
C’est ce document de consensus national qui fera l’objet d’examen et de débat avec les partenaires extérieurs. Sans cela, non seulement les propositions du gouvernement seront sans fondement, mais le doute persistera dans l’esprit des partenaires extérieurs sur la réelle volonté du gouvernement à aller aux élections, et les moyens pour y aller feront défaut.
La décision des Chefs d’Etat et Gouvernement de la CEEAC prolongeant la transition à décembre ; date butoir des élections en Centrafrique, viole l’esprit et la lettre des textes qui régissent la transition, notamment l’article 102 al.2 ; n’en déplaise à ceux qui applaudissent la violation de la constitution de mon pays par des Chefs d’Etat de la CEEAC. Que reproche-t-on aux Chefs d’Etat qui violent la constitution de leur pays pour forcer un troisième mandat ?
Il est une évidence que 2016 sera une année charnière pour certains pays de la sous-région. Et alors ? Devons-nous nous arrêter de respirer et de réfléchir par nous-mêmes ? N’avons-nous pas des ressources pour lever un défi national ? C’est face à l’adversité et aux périls que souvent le géni national se réveille. Nous ne devons par faire exception !

Le génie centrafricain existe, et nous l’avons souvent démontré sans que ceux qui nous gouvernent ne sachent en tirer la meilleure partie. Cette affirmation n’est pas exclusive d’un certain gouvernement.
La majeur partie des centrafricains sont las de la violence. J’estime qu’il nous faudrait, dans le contexte actuel, éviter d’agiter sans cesse le mouchoir rouge pour provoquer le non souhaitable comme si les centrafricains ne sont capables que du pire.
Je concède au compatriote Poussou que « l’argutie sur le manque de ressources financières qui empêcherait la tenue de ces élections ne résiste pas à l’analyse. Si nous voulons de ces élections nous les aurions, simplement. Toutes les énergies et les bonnes volontés qui pourraient être mobilisées ne seraient pas superflues ».
Voilà la pensée que tous nous devons avoir pour nous en sortir. C’est le refuse d’infantiliser les centrafricains. En réalité ce qui rebute la Communauté internationale n’est pas l’impression que nous (les gouvernants) abordons la transition à reculons mais parce que le gouvernement n’a pas encore réussi à obtenir un réel consensus national sur le chronogramme des élections - Dieu sait que les moyens institutionnels et politiques sont prévus par nos textes. L’esprit même de la transition le recommande. Nous devons nous faire confiance sans apriori ni peur, et nous concerté sans cesse pour agréger toutes les bonnes volontés au processus.

Notre détermination à nous en sortir d’abord par nous-mêmes révèlera la réelle intention de la Communauté internationale.
Bernard BONDA
Conseiller national
Ancien Ministre

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