POUR L’EFFICACITÉ ET LA COHÉRENCE DE L'ACTION GOUVERNEMENTALE
Ne pouvant constituer un gouvernement d’unité en 1945 à cause des exigences « abusives » que certains partis politiques (au premier rang desquels se trouvait le parti communiste français) entendaient lui dicter et qu’il qualifiait de « furieuses intrigues politiciennes », le Général de Gaulle prenait le peuple à témoin, déclarant que pour de « claires raisons nationales et internationales », il ne « mettrait pas les communistes à même de dominer » la politique nationale en leur livrant « la diplomatie qui l’exprime, l’armée qui la soutient ou la police qui la couvre ».
La France sortait du désastre invraisemblable de la seconde Guerre mondiale et son chef, le Général de Gaulle, que « n’avaient investi nul souverain, nul parlement, nul plébiscite, et qui ne disposait en propre d’aucune organisation politique » avait compris que pour exercer son autorité (malgré son manque de légitimité démocratique) et redonner à la France son rang d’autan, il lui importait de faire porter sa politique par trois piliers d’égale importance : la diplomatie, l’armée et la police.
À l’instar de la France, notre pays, la République centrafricaine, a connu la catastrophe, ses fondements n’ont pas résisté à la tentation du déchirement et son unité a littéralement vacillé. En revanche, à la différence de l’homme du 18 juin 1940 qui dirigeait un gouvernement provisoire à la libération, après avoir entretenu la flamme de la résistance et engagé ses compatriotes à combattre pour défendre la souveraineté du pays, nous nous sommes librement choisis un chef d’État bénéficiant de la légitimité que lui a conféré son élection au suffrage universel.
Malheureusement, un peu plus de cinq mois après l’investiture du nouveau président, nous avons le sentiment, peut-être à tort, mais tout de même partagé par de nombreux compatriotes, y compris par certains pays amis et frères, que la conduite des affaires de l’État manque cruellement d’efficacité et de cohérence.
Sans doute faudrait-il recentrer, le plus tôt, l’action gouvernementale autour des trois piliers que nous avons évoqué plus haut, à savoir la diplomatie, l’armée et la police afin de véritablement engager le pays, malgré sa misère, sur la voie de la reconstruction et de l’équilibre.
Aussi, et c’est là où se situe le véritable problème, en observant nos actuels dirigeants, on constate que malgré le manque de résultats probants dus à certains choix contestables, le doute ne les habite jamais, même s’il est le commencement de la sagesse selon le précepte d’Aristote. Or, suivant l’expression de Jean-Louis Debre, le savoir n’empêche pas le doute. Il le suscite, tout au contraire. Et grâce à lui, on peut corriger ce qui doit l’être, changer de cap et aller de l’avant.
En écrivant cela, non point que je nourris une quelconque préventions à l’égard des compatriotes qui ont aujourd’hui la charge de ces trois secteurs, loin s’en faut, d’autant que j’entretiens des relations d’amitié d’une densité exceptionnelle avec certains d’entre eux. Seulement, je veux dire par-là que tous les moyens d’action devaient être mis à leur disposition pour la réussite de leurs missions respectives.
À commencer par la diplomatie. Dans ce contexte troublé, où le monde fait face aux tumultes des événements violents portés par une idéologie se servant de la religion comme prétexte et semant la terreur aux quatre coins du globe, la diplomatie constitue, à n’en point douter, la pierre angulaire de toute action politique. Elle doit non seulement porter la voix de la Nation et justifier le bien fondé des politiques publiques, envoyé un signale fort en direction de la communauté internationale mais surtout rallier des partenaires de premiers plans à la cause nationale.
Autrement dit, la diplomatie devait-être, comme dirait Charles de Gaulle, l’action au service d’une idée forte et simple : la renaissance nationale. D’autant que le caractère non opératif et non agressif (qui s’entend ici par la multiplication des initiatives) de la diplomatie centrafricaine peut, dans une certaine mesure, justifier la circonspection d’une partie de la communauté internationale à notre égard, en même temps qu’il facilite leurs ingérences dans nos affaires internes. Le maintien de l’embargo inique sur les armes qui frappe les Forces armées centrafricaines (FACA) est une parfaite illustration de cette méfiance de la communauté internationale à l’égard de notre pays.
C’est dire, avant de prendre, à l’égard des nouvelles autorités, des mesures facilitant leurs politiques, la communauté internationale veut d’abord voir comment tourne les choses et à quel point se situe notre envie de nous en sortir. Or, on doit convenir que compte tenu des d’efforts qui restent entiers, il appartient à nos diplomates d’expliquer clairement à nos partenaires et à l’opinion publique, la pertinence des décisions prises ainsi que la justesse des choix opérés afin de les convaincre de nous soutenir. Le font-ils ? Rien n’est moins sûr.
Pourtant, le président de la République a le privilège d’avoir auprès de lui, deux des meilleurs professionnels de la diplomatie de notre pays. L’un, plutôt le cadet, est ministre des Affaires étrangères et l’autre, l’ainé en somme, est son ministre-conseiller en matière de diplomatie. Jusqu’à encore récemment, le second était accrédité auprès de l’homme le plus puissant de la planète à Washington et le premier l’était auprès du Secrétaire général des Nations Unies. C’est dire que l’un comme l’autre ne méconnaissent nullement les méandres ou les subtilités des relations entre États. Je veux parler ici de mon frère Charles Armel Doubane et de mon tonton Stanislas Moussa Kembe, deux hommes dont la compétence en la matière ne fait aucun doute. Il revient donc au chef de l’État de les utiliser efficacement en leur traçant une feuille de route non sans, préalablement, mettre à leurs dispositions, les moyens adéquats. Ce qui va déterminer les résultats.
Par ailleurs, à mesure que s’éloigne la perspective du retour en grâce de notre unique outil de Guerre, à savoir notre armée nationale, c’est la résurgence de la menace des groupes armés qui se précise dangereusement. Or, la question de la levée de l’embargo sur les armes à destination de notre pays, donc de la remise en selle des militaires est intimement liée à l’efficacité de notre diplomatie. Sans mauvais jeu de mot, le retour des FACA devait-être un objectif militaire pour nos autorités. Et cela passe nécessairement par des initiatives diplomatiques pour convaincre les puissances étrangères encore réticentes à se ranger derrière nos vues.
Dès lors, il est inutile de rappeler que depuis presque 60 ans, l’État d’Israël n’applique aucune résolution des Nations Unies au motif que celles-ci vont à l’encontre de ses intérêts vitaux, notamment sa sécurité mais rien ni personne le dérange. On me dira qu’Israël n’est pas la République centrafricaine. Ce que j’admets volontiers. Seulement, je ferais observer que c’est grâce à sa diplomatie qu’Israël a su s’attribuer le soutien inconditionnel de certains membres du Conseil de Sécurité des Nations-Unies. Pourquoi ne pourrions-nous pas imiter cet exemple ?
Hélas, l’absence d’une armée digne de ce nom, capable de défendre l’intégrité du territoire national, encourage des fauteurs de troubles et des aventuriers de tout acabit à s’installer chez nous pour troubler l’ordre public. Elle met également en lumière l’état de faiblesse où notre pays est encore plongé par rapports à l’espérance suscitée par l’élection du nouveau président de la République.
Dans ce drame national, nul besoin de rappeler l’importance que revêt la police. Il lui appartient de couvrir l’ensemble de la politique menée dans le pays à travers ses services d’intelligence. C’est à elle de fournir à l’exécutif l’imagerie de la situation dans le pays. Cette nécessité exige des pouvoirs publics de la structurer, la réformer, d’assurer la formation de ses cadres et muscler ses moyens d’action. Comme dans les autres pays, notre police devait avoir des services de sûreté intérieure mais aussi extérieure afin de nous permettre de faire chez les autres ce qu’ils ne peuvent pas faire chez nous (c’est la définition du renseignement) et nous prémunir des mauvais coups. Ce qui permettra de sortir du cycle infernal des fiches mensongères et leurs effets négatifs sur la conduite des affaires de l’État.
Comme l’attitude à gouverner c’est parler vrai et agir juste (encore du De Gaulle dans le texte), nos autorités seraient mieux inspirés de redonner à notre diplomatie ses lustres d’antan, de faire reparaitre notre armée nationale et de doter la police des moyens de son action. Lorsqu’ils se seront décidés à appliquer une telle politique, les autres ministères dits « économiques » parviendront eux aussi à des résultats tangibles parce qu’ils auront l’environnement nécessaire pour agir et s’épanouir. C’est à cette seule condition, me semble-t-il, que l’action gouvernementale sera plus efficace et plus cohérente.
Nairobi, le 6 septembre 2016
Adrien Poussou
Ancien Ministre