Parfait Onanga-Anyanga: en RCA, «protéger les civils est sacré»

Publié le par TAKA PARLER

Parfait Onanga-Anyanga
Parfait Onanga-Anyanga

En Centrafrique, il ne va pas être facile de succéder au général Babacar Gaye, le chef de la Minusca, qui a dû démissionner la semaine dernière à la suite du scandale de viols présumés commis par ses casques bleus. Le nouveau patron de la Minusca est un Gabonais. Il s’appelle Parfait Onanga-Anyanga ; il doit arriver ce vendredi à Bangui. Sur la route, il s’est arrêté hier, mardi 18 août, à Paris et se confie ce matin à Christophe Boisbouvier. Le diplomate gabonais s’exprime aussi sur le Burundi, où il a dirigé pendant trois ans le bureau des Nations unies.

RFI : Quelle est votre priorité en arrivant à Bangui ?

Parfait Onanga-Anyanga : Il faut tout faire pour tenir des élections crédibles, transparentes et paisibles, afin de mettre fin à la transition. Une transition qui, il faut le dire, a été dans l’ensemble plutôt bien menée et pouvoir doter le pays de nouvelles autorités, démocratiquement élues qui auront la lourde responsabilité de conduire le processus de stabilisation et de consolidation de la paix dans leur pays.

Est-ce que la date du 18 octobre prochain pour le premier tour pourra être tenue ?

Il n’y a pas de raison à ce jour d’en douter et je crois que tous les acteurs, nationaux, internationaux et régionaux, travaillent à cette fin.

Donc les Centrafricains pourront choisir leur président le 18 octobre prochain ?

C’est, je crois, ce qu’il devrait se passer. En le disant, j’ai conscience du fait qu’il peut y avoir ici et là encore quelques défis à relever. Mais je crois qu’il n’est pas question de renégocier ce calendrier pour l’instant.

Est-ce que les quelque 10% de Centrafricains qui ont dû fuir leur pays à l’étranger, au Cameroun, au Tchad et ailleurs vont pouvoir voter ?

Je crois qu’il y a une évolution positive dans ce sens. C’est une question de principe. C’est un droit constitutionnel et tout citoyen centrafricain, y compris ceux que le sort et l’histoire récente ont conduit à l’extérieur de leur pays, devrait avoir ce droit de pouvoir aussi participer à ce processus de choix de leurs dirigeants politiques.

Mais vous savez que le Conseil national de transition n’est pas du même avis ?

Je crois comprendre que la cour constitutionnelle a rappelé au CNT leur obligation de s’en tenir à la loi et seulement à la loi.

Il y a actuellement un trou de 11 millions de dollars dans votre budget électoral, comme allez-vous faire pour organiser cette élection présidentielle ?

C’est vrai, c’est un autre défi, le financement des élections. Mais pour le cas d’espèce, j’ai eu l’occasion de discuter hier à Bruxelles avec les partenaires de l’Union européenne. Je crois qu’il y a une bonne volonté des différents partenaires pour faire en sorte que ces importantes échéances ne butent pas sur une difficulté financière.

Parfait Onanga-Anyanga vous succédez au général Babacar Gaye qui a été poussé à la démission la semaine dernière à la suite de crimes sexuels à répétition dont se sont rendus responsables plusieurs casques bleus du contingent de la Minusca. J’imagine que pour vous, ce n’est pas facile de prendre la direction d’un contingent dans de telles conditions.

J’en conviens, c’est un immense défi. Cependant il faut reconnaître que sur un terrain, où il y a 12 000 hommes et femmes en uniforme avec des rotations extrêmement lentes, toutes sortes d’exactions peuvent hélas se produire. Nous le regrettons profondément. Et je dois dire ici que dans la décision extrêmement difficile que le secrétaire général a dû prendre, j’aimerais d’abord saluer mon collègue, le général Babacar qui est un fonctionnaire d’une rare compétence et d’une rare intégrité personnelle. Le secrétaire général s’est félicité du fait que dans la décision difficile qu’il a eu à prendre le général Babacar Gaye ait accepté de démissionner en assumant la responsabilité individuelle et institutionnelle à laquelle nous sommes tenus. C’est un précédent fort, mais c’est aussi un précédent qui a valeur de symbole. Parce qu’il veut dire à nous tous, que notre vocation première de protéger les civils est sacrée. Et que lorsque ces situations se produisent, nous ne devons jamais perdre de vue que la majorité, l’écrasante majorité, des hommes et des femmes qui sont sous le drapeau de l’ONU font un travail noble, un travail de dignité auquel d’ailleurs le général lui-même a participé sur plusieurs terrains, pas seulement en Centrafrique.

Il y a quelque sept à huit contingents différents de pays différents à l’intérieur de la Minusca. Est-ce qu’il n’y a pas un problème d’autorité du chef de la mission sur ses différents contingents ?

Ce serait trop tôt pour moi de me prononcer sur cette question spécifique. Je veux simplement reconnaître qu’il y a une complexité réelle à [être] le chef d’une telle mission, qui est composée de divers bataillons venant de pays différents avec des cultures militaires différentes, de commandements différents. Je crois que c’est un vrai défi. Cependant ce qui est et qui devrait nous rassembler, c’est le fait qu’au fond l’armée partout est fondée sur le principe d’obéissance. Je ne suis pas moi-même un militaire, mais… Il faudrait donc très rapidement qu’il y ait une conversation, je m’emploierai très rapidement à en discuter avec les différents responsables, pour qu’évidemment on s’astreigne à plus de rigueur. Et que toutes les fois que des situations de violation des droits de l’Homme seront identifiées, les sanctions les plus fermes soient prises. Et là, je voudrais dire un mot sur les victimes : aucune population civile, aucune femme, aucun garçon, aucune fille ne devraient avoir peur de la couleur du drapeau bleu des Nations unies. Notre vocation première est de les protéger.

Ce que beaucoup de gens ne savent pas, c’est que les casques bleus qui commettent ces crimes ne sont pas poursuivis ensuite par un tribunal international, ils ne peuvent être poursuivis que par un tribunal de leur pays d’origine, ce qui arrive très rarement. Est-ce que du coup, ces casques bleus ne vivent pas dans un sentiment d’impunité totale ?

Il y a un risque extrêmement grave. Et c’est donc pour cette raison que le secrétaire général a plaidé auprès du Conseil de sécurité pour demander que les pays contributeurs de troupes s’engagent dans la poursuite des auteurs de crimes avérés qui seraient renvoyés dans leur pays d’origine.

Quelles mesures concrètes le secrétariat général compte-t-il prendre pour un suivi des sanctions judiciaires dans le pays d’origine du casque bleu qui a commis un crime ?

Nous avons malheureusement les limites que nous impose la souveraineté. Nous ne pouvons que nous engager dans un dialogue constructif avec les pays. Ne pas poursuivre un soldat qui aurait commis des actes graves dans un pays étranger serait quelque part être complice du crime. Alors les victimes auront été doublement agressées.

Et qu’est-ce qui vous empêche Parfait Onanga-Anyanga de publier tous les ans un rapport sur le suivi des actions judiciaires dans chaque pays d’où un casque bleu a commis un crime ?

Ecoutez, nous sommes une organisation d’Etats-membres et je ne pense pas qu’il serait constructif d’exposer à la face du monde des pays. Si on s’engageait dans une voie qui viserait à stigmatiser des pays, je crois qu’on risque de tomber dans un autre excès. Et donc ce qu’il faut faire, c’est rentrer dans un dialogue constructif avec ces pays, pour faire en sorte que des poursuites judiciaires soient diligentées avec le plus grand sérieux pour faire en sorte qu'il y ait un début de réparation pour les victimes.

Parfait Onanga-Anyanga, avant de venir à Bangui vous avez tenu le bureau des Nations unies au Burundi pendant 3 ans de 2012 à 2014, vous êtes parti en décembre dernier. Vous avez fermé le bureau. Pourquoi êtes-vous parti avant la bataille ?

Nous sommes partis avant la bataille parce que c’était ce qu’avait décidé le Conseil de sécurité à travers sa résolution 21-37.

Mais pourquoi le Conseil de sécurité vous a-t-il demandé de partir ?

Le consensus qui s’est dégagé au Conseil de sécurité, c’était de décider que la mission partirait. Mais avant de partir, le secrétaire général avait fait deux demandes importantes : s’assurer qu’une mission électorale soit mise en place, elle y est encore aujourd’hui, c’est la Menub, et qu’il y ait un bureau des droits de l’Homme qui soit également maintenu dans le pays. Sur ces deux questions, nous avons obtenu satisfaction et les Burundais ont été plutôt coopératifs. Maintenant les récents évènements nous ont démontré qu’il y avait certainement quelque chose d’inachevé et qu’il aurait fallu, peut-être, poursuivre encore avec les Burundais un certain accompagnement politique.

En décembre dernier, ce sont les Russes, au sein du Conseil de sécurité, qui ont poussé à la fermeture de ce bureau. N’était-ce pas sous pression de leur ami burundais, Pierre Nkurunziza ?

Non, j’ai parlé d’un consensus au sein du Conseil de sécurité. Je ne me souviens pas d’un rôle que l’une ou l’autre délégation aurait joué. Mais il faut dire, c’est une mission qui était prise sous le chapitre 6, c'est-à-dire un chapitre de la charte qui demande le consentement express du pays. Dès qu’il n’y avait plus ce consentement du pays, du gouvernement du Burundi, de maintenir la mission, il fallait se rendre à l’évidence qu’il était peut-être bon de fermer la mission.

Est-ce que vous craignez un retour d’une guerre civile tragique comme celle que le Burundi a connue dans les années 90 ?

Tout le monde la craint. C’est une crainte qui est d’abord le fait de l’expérience, donc c’est des craintes fondées. Mais, tout en déplorant évidemment tout ce qu’il vient de se passer dans ce pays, la mort de plusieurs Burundais, je veux encore croire que ce pays réussira à ne pas tomber dans l’abysse. Je veux espérer qu’il va y avoir un sursaut national dans ce pays qui n’a que trop souffert pour dire non, au cycle de la violence et pour dire non au retour d’un conflit inter-burundais.

L’entêtement du régime. Les assassinats politiques. Le début d’une insurrection dans certaines provinces. L’apparition d’une milice, les Imbonerakure, est-ce que tous ces ingrédients ne font pas craindre une explosion ?

Ils font absolument craindre une explosion. Et c’est bien pour cela, que le secrétaire général continue d’insister auprès des forces politiques burundaises, des autorités en charge de ce pays encore aujourd’hui et des acteurs régionaux. Il faut dialoguer, sans condition, sans préalable. Il faut aller au bout d’Arusha qui a été au fond un moment important pour la nation burundaise, au cours duquel ils se sont tous rendus compte que ce qui a causé tant de mal à ce pays, c’est l’exclusion politique. Elle était au début une exclusion politico-ethnique. Evidemment, là encore une fois, je dirais ethnique ou plutôt communautaire, avec une manipulation de l’identité communautaire. Il faudrait éviter l’autre exclusion qui pourrait être, vous me permettrez le mot, une sorte de tyrannie de la majorité. Et donc il faut que ceux qui sont aujourd’hui au pouvoir comprennent que les appels et les protestations d’une partie de leur peuple sont un rappel à gouverner différemment. C’est un désir de dignité. C’est un désir de vivre différemment ensemble. Et ils ne peuvent pas être sourds à ces cris, au nom de la majorité que leur donneraient des urnes, dont vous savez le caractère plutôt contesté du processus qui a conduit justement à l’organisation de ces élections. Alors il est possible au fond d’utiliser la période de division actuelle en une occasion de refonder la démocratie burundaise. On ne peut le faire que par le dialogue. Le pain est amer quand on le mange seul. Ce qu’il faut dire également, et il faut s’en féliciter, c’est que jusque-là ce que nous avons vu au Burundi ne nous fait pas dire qu’il y a un glissement dans une sorte de confrontation inter-communautaire telle que celle que nous avons connue dans le passé.

Ça, c’est plutôt rassurant.

C’est plutôt rassurant, mais nous n’en sommes jamais loin ! Parce que lorsque des personnalités importantes de l’une ou l’autre communauté se retrouvent sauvagement assassinées, c’est un appel à ce qu’il y a de plus émotionnel dans l’une ou l’autre communauté. C’est un appel à une violence aveugle.

Comme en 1993 après l’assassinat de Melchior Ndadaye ?

Absolument, il faut s’en méfier et tout faire pour mettre fin à ce cycle de la démence.

RFI

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